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TitrePetits traitez en forme de lettres escrites à diverses personnes, Lettre IX, « Sur la peinture »
AuteursLa Mothe le Vayer, François de
Date de rédaction1649:1662
Date de publication originale1662
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(t. II), p. 443

La peinture a d’autres gayetez permises[[5:i.e. que les nudités.]] , et des divertissements innocens. Il ne peut rien tomber de si bigearre, ni de si ridicule dans l’imagination, que ses grotesques ne representent, et cette sorte de figures qui furent nommées Grylles, depuis qu’Antiphile eut habillé dans un tableau le fils de Xenophon, ou quelque autre qui portoit le nom de Grylle, avec des accoutrements qui faisoient rire de leur extravagance. [[4:suite : Pireicus]]

Dans :Antiphilos et le Gryllos ; Calatès, Calliclès et les tableaux comiques(Lien)

, p. 440

Car il ne faut point douter que les peintres ne jugent ordinairement mieux que le reste des hommes de la beauté humaine, tant à cause des regles qu’ils ont à l’égard de la proportion des membres et des couleurs qui leur conviennent, que pource qu’ils exercent incessamment leur imagination à former des idées les plus accomplies qui se puissent concevoir. C’est pourquoi l’on a soustenu avec beaucoup de raison, qu’Apelle fut tout autrement touché qu’Alexandre en voiant Campaspe dans sa nudité, parce qu’il en reconnaissoit mieux le véritable merite ; et que peut-estre ce prince, qui n’avoit pas moins de philosophie que de generosité, ne la luy ceda que sur cette seule consideration. 

Dans :Apelle et Campaspe(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX) , t. II, p. 441-442

[[8:voir aussi Apelle nimia diligentia]] Comme Apelle accusa de fort bonne grace tous ceux de son art de cette trop grande exactitude, et de n’avoir pas assez fait estat dans leurs travaux de la Charité des Grecs, se mocquant de Protogene qui ne pouvoit oster la main de dessus un tableau, memorabili praecepto, nocere saepe nimiam diligentiam : Raphaël d’Urbin est celuy qui a pû de mesme reprendre le soin extréme de ces grands hommes dont nous venons de parler, qui ne sacrifioient pas aux Graces comme luy. Il fut excellent en tout, quoiqu’il changeast parfois de maniere : il donna l’agréement avec le naturel à la peinture, proprement prise pour celle qui emploie les couleurs : et je le nommerois le Phoenix de son art, s’il n’estoit mort âgé de trente-sept ans seulement, à la veille d’estre fait cardinal par Iule Second, Michel-Ange aiant doublé ce terme, et plus, puisqu’il ne s’en falut qu’une année qu’il n’arrivast à la grande climacterique. Ce que Raphaël a eu de plus commun avec Apelle, c’est que la beauté de ses pieces n’ostoit rien à la ressemblance.

Dans :Apelle supérieur par la grâce(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX, t. II) , p. 441-442

[[8:voir aussi Apelle grâce]] Comme Apelle accusa de fort bonne grace tous ceux de son art de cette trop grande exactitude, et de n’avoir pas assez fait estat dans leurs travaux de la Charité des Grecs, se mocquant de Protogene qui ne pouvoit oster la main de dessus un tableau, memorabili praecepto, nocere saepe nimiam diligentiam : Raphaël d’Urbin est celuy qui a pû de mesme reprendre le soin extréme de ces grands hommes dont nous venons de parler, qui ne sacrifioient pas aux Graces comme luy. […]

Le notable précepte qu’il[[5:Apelle.]] donna de fuïr comme un crime ce soin scrupuleux et superflu, qui fait dire parfois que des ouvrages sont trop achevez, est cause que plusieurs chercherent leur gloire dans la promptitude, et qu’en effet ils furent loüez d’une diligence extraordinaire. Pline en nomme quelques-uns comme Phyloxène, Nicophane, et leur precepteur Nicomaque le plus expeditif de tous, et qui n’a point eu son pareil en impetuosité d’esprit, pour user de ses termes. Il fait mention ailleurs d’une fille nommée Lala, qui peignoit dans Rome du siècle de Varron avec une si grande legereté de main, que personne jamais ne l’a passée en cela. Et il parle encore d’un Pausias de Sicyone, la plus renommée des villes de Grece pour la peinture, qui piqué de ce qu’on vouloit le faire passer pour trop lent, n’employa qu’un jour à faire ce renommée tableau appellé de là hemeresios, où l’on voioit un jeune enfant representé. Ces peintres étaient tels que Platon les demandoit, lorsqu’il défendoit de mettre aux temples d’autres figures que celles qu’un homme de cette profession pouvoit achever en un jour, formae ab uno pictore, uno absolutae die, pour lui faire user du langage de Ciceron [[1:Cic. l. 2 de leg.]]. Et je crois que pour coucher encore ici ce rapport de l’ancienne peinture à la moderne, l’artifice et la promptitude de Romanelli peuvent estre jointes aux precedentes, aiant commencé et fini en neuf mois au palais de Monsieur le Cardinal Mazarin, le travail de cette grande Galerie, que ceux qui s’y connoissent ne peuvent contempler sans estonnement.

Dans :Apelle et la nimia diligentia(Lien)

(t. II), p. 440

[[4:suit Zeuxis et Polygnote]] Le peintre Aristide est le premier de tous, qui se servit de la morale dans sa profession, et qui sceut peindre l’Ame avec ses pensées aussi bien que le corps, par l’expression visible de tous les mouvemens interieurs ; les couleurs dont il se servoit estoient neantmoins trouvées un peu rudes de son temps.

Dans :Aristide de Thèbes : la mère mourante, le malade(Lien)

, Lettre IX, Sur la peinture (numéro t. II) , p. 441

Il est vrai que luy-mesme[[5:Michel Ange.]] vouloit ceder la palme à Albert Durer, comme à celuy qui luy avoit tracé le chemin, dans lequel son seul avantage venoit des statuës grecques et des antiques de Rome, dont il transportoit les ornemens et les artifices sur ses ouvrages, ce que la demeure de l’autre en Allemagne ne luy permettoit pas de faire. Ils ont pourtant esté repris tous deux du mesme defaut qu’on reprochoit à Demetrius, d’avoir negligé par trop de rendre leurs ouvrages agreables, pourveu qu’ils fussent fort semblables, ne se souciant que d’aller après le naturel ; nam Demetrius tanquam nimius in eo reprehenditur, et fuit similitudinis quam pulchritudinis amantior.

Dans :Dionysios anthropographe(Lien)

(t. II), p. 441-442

 [[7:voir le reste dans Apelle nimia diligentia]] Il fait mention ailleurs d’une fille nommée Lala, qui peignoit dans Rome du siècle de Varron avec une si grande legereté de main, que personne jamais ne l’a passée en cela.

Dans :Femmes peintres(Lien)

, "Sur la peinture" (numéro Lettre IX) , t. II, p. 441

Le merite du Caravaggio à faire après le naturel, ni son artifice dans l’obscur et le lumineux, ni les graces qu’il mettoit aux derniers traits de sa besongne, ne m’obligent pas tant à tirer quelque parallele entre luy et Parrhasius, que cette humeur fiere qui le dominoit, et qui luy faisoit mépriser avec ceux de son temps tous les Anciens. Fecundus artifex, sed quo nemo insolentius et arrogantius sit usus gloria artis. [[1:Ibid.]] Il est de ces esprits-là dans toute sorte de professions, qui perdent presque toûjours la meilleure partie des loüanges qu’on leur donneroit librement, parce qu’ils veulent les emporter de haute lutte, et se les approprier sans en faire part à personne.

Dans :Parrhasios : orgueil(Lien)

, "Sur la peinture" (numéro Lettre IX) , t. II, p. 439

Quoi qu’il en soit, cela vous peut faire souvenir du reproche qu’on fit à un ancien orateur, d’avoir tres-improprement parlé d’un Promethée peint au Temple de Minerve par Parrhasius dans Athenes. Car lui étant venu dans l’esprit ce qu’on avoit écrit des raisins représentez par Zeuxis, que de petits moineaux venoient becqueter, il crut qu’il ne pouvoit mieux loüer ce Promethée, que de dire qu’il estoit tel qu’on voyoit souvent les vautours se jeter dessus pour lui percer le costé, et se repaistre de son foie. Cependant c’estoit très mal rencontré à lui, d’autant qu’il n’est pas imaginable que des vautours entrent dans un Temple frequenté comme celui de Minerve Athenienne, encore que des moineaux se puissent hazarder d’aller donner du bec contre un tableau exposé au jour, selon que les peintres ont accoustumé d’y mettre leurs ouvrages.

Dans :Parrhasios, Prométhée(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX) , t. II, p. 441-442

[[4:suit Apelle grâce]] Et il parle encore d’un Pausias de Sicyone, la plus renommée des villes de Grece pour la peinture, qui piqué de ce qu’on vouloit le faire passer pour trop lent, n’employa qu’un jour à faire ce renommée tableau appelé de là hemeresios, où l’on voyait un jeune enfant representé.

Dans :Pausias, L’Hémérésios(Lien)

, "Sur la peinture" (numéro Lettre IX) , t. II, p. 438-439

Ils font des figures qui parlent, et le Iupiter de Phidias inspiroit plus de dévotion au dire d’un payen, que la religion n’en prescrivoit : Eius pulchritudo adiecisse aliquid etiam receptae religioni uidetur, adeo maiestas peris Deum aequauit. [[1:Quintil. L. 12 c. 10]] […] Mais comme la regle ne se contentant pas de nous faire paroistre les choses droites, nous donne encore la faculté de remarquer celles qui sont tortuës : et comme la mesme science qui apprend ce que c’est que la Verité, nous fait de plus des leçons du mensonge : outre que la peinture nous porte à bien juger de la perfection de tout ce qu’elle represente, son art nous fournit des maximes pour en discerner les vices, et pour en censurer ce qui s’y rencontre de defectueux. Ainsi l’on trouva même à redire au Iupiter de Phidias dont nous venons de parler, quoique Philon Bysantin, qui l’a mis entre les sept merveilles du monde, dise de lui que Saturne n’estoit pas mieux son pere au Ciel, que Phidias en Elide. Les plus capables remarquerent qu’il n’estoit pas proportionné à son temple, parce que tout assis qu’il se trouvoit, il en touchoit presque la voûte de sa tête, de sorte que présupposant qu’il se fust voulu lever, l’on jugeoit manifestement qu’il eust renversé tout l’edifice.

Dans :Phidias, Zeus et Athéna(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX) , t. II, p. 443

[[4:suit Antiphilos gryllos]] D’autres se sont pleûs, et s’amusent encore tous les jours à charger leur toile de cuisines, remplies, outre la batterie, de toute sorte de viandes. L’on y void des asnes chargez d’herbages, et mille autres galanteries de basse estoffe, qui acquirent le surnom de Rhyparographe à un ancien du tout adonné à cela. C’est ainsi que les Muses sont ici differentes comme partout ailleurs ; je veux dire les inclinations, qui font que les uns réüssissent à une chose, et les autres à une autre. Le grand talent du Bassan, estoit dans la representation naïve des animaux. Le génie d’Antoine Tempesta, le portoit à décrire parfaitement du pinceau des combats sanglans, et des batailles rangées. Ceux des Païs-bas, qui contestent avec les Lombards de la beauté du coloris, ne peignent rien si volontiers que des mers couroucées, et des vaisseaux menacez du naufrage. Bref, le naturel est si puissant, que je lisois il n’y a gueres dans une Relation des Hurons [[1:Sagard c.7]], qu’encore qu’il n’aient ni l’art de la peinture, ni les instruments propres à l’exercer tels que nous les avons, ils ne laissent pas de rencontrer admirablement en des figures qu’ils font à leur mode, en se laissant aller à la force de leur imagination.

Dans :Piraicos et la rhyparographie(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX, t. II) , p. 444

De même que je vous ai nommé des peintres de ce temps, qui semblent aller du pair avec les meilleurs des Anciens, et que nous voyons un Melan, qui soit pour les grâces de son pinceau, soit pour la hardiesse des traits de son burin, ne peut être assez estimé ; aussi en avons-nous d’autres, comme il y en a eu de toute antiquité, qui ne sont bons qu’à barbouiller, et qui blanchissant une muraille devant que de la peinture, feraient mieux de la peindre premièrement, et puis de la blanchir. Aristote [[1:l. 9 met. c. 8 l. 3 polit. c. 5 l. 1 de poe. c. 2]] met au rang de ces derniers un Pauson, dont il défend à la jeunesse de regarder les ouvrages dépourvus de toute morale, et qui eut néanmoins l’adresse de mettre le premier du verre au devant d’un portrait pour l’adoucir et le rendre plus agréable. C’est une chose certaine qu’il y en a eu dans les commencements de si grossiers qu’Eumarus Athénien s’est rendu recommandable pour avoir trouvé l’invention de distinguer le mâle d’avec la femelle. Et l’on sait que devant Apollodorus aussi Athénien, et qui vivait dans la quatre-vingt-treizième Olympiade, pas u de cette profession n’avait encore donné des yeux à ses figures, rien fait qui méritât d’être considéré, ou du moins représenté la vivacité de la vue, selon que vous voudrez interpréter ces paroles de Pline [[1:l. 35 c. 8&9]], neque ante eum tabula ullius ostenditur, quae teneat oculos.

Dans :Polygnote, Dionysos et Pauson : portraits pires, semblables, meilleurs(Lien)

, t. II, p. 443

J’aime mieux que le paganisme nous fournisse des exemples de cette nature, que la vraie religion, où il ne se trouve que trop de telles impietez. En combien d’églises voions-nous l’effronterie d’un Praxitele, qui donnoit à Venus le visage d’une Cratine qu’il aimoit, de mesme que d’autres lui attribuoient celuy de la courtisane Phryné, et à Mercure celuy d’Alcibiade, selon que Clement Alexandrin l’a remarqué ? Il ne faut que lire, pour nous en faire honte, l’invective de Pline contre un Arelius, qui pratiquoit à Rome la mesme chose un peu devant le temps de l’Empereur Auguste. Fuit et Arelius Romae celeber paulo ante Divum Augustum, nisi flagitio insigni corrupisset artem, semper alicujus feminae amore flagrans, et ob id Deas pingens, sed dilectarum imagine.

Dans :Praxitèle, Vénus de Cnide(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX) , t. II, p. 444

Je trouve fort merveilleux que le chevalier Turpilius peignist si excellemment de la main gauche, qu’on gardoit fort soigneusement dans Verone des pieces de sa façon, le même Pline [[1:l. 35 c. 6]] avoüant que devant lui on n’avait jamais veû de peintre gaucher dans son mestier. C’est aussi une chose tres-digne de considération, que des ouvrages imparfaits pour n’avoir pas estez achevez, ont été plus estimez que vraisemblablement s’il n’y eust eu rien à redire. Cela s’est veû par l’Iris d’Aristide, par les Tyndarides de Nicomachus, par la Medée de Timomaque, et par la Venus Anadyomène d’Apelle où personne n’osa adjouster le moindre trait de pinceau ; tous ouvrages qui estoient autrefois de beaucoup plus de prix nonobstant ce qu’il y manquoit, qu’aucun des travaux que ces grands maîtres eussent laissez les plus accomplis. Ioignez à cela qu’encore que la perfection de l’art soit dans la ressemblance, l’on y a cherché de la recommandation par la dissemblance. Car qu’est-ce autre chose de rendre belles les laides personnes, et de donner des grandeurs de geant à de fort petits hommes ? Cependant il n’y a rien de plus ordinaire parmi les peintres et les sculpteurs.

Dans :Tableaux inachevés(Lien)

, « Sur la peinture » (numéro Lettre IX) , t. II, p. 440-441

Timanthe est prisé d’avoir toûjours donné davantage à comprendre dans ses ouvrages, que son pinceau ne representoit, et fait en sorte que son esprit y paroissoit plus grand que l’industrie de sa main, bien qu’il l’eust tres-exquise. Ainsi pour faire concevoir la grandeur de son Cyclope dormant, et fait en petit volume, il mit des satyres auprés de luy qui mesuroient son pouce avec une perche. Certes nous lui pouvons comparer pour ce regard le sçavant Rubens que nous venons de perdre, qui a toûjours joint l’invention à l’excellence de son art, et ce qu’il tenoit d’une profonde lecture à la beauté de son coloris. Les Galeries du Palais d’Orleans le témoigneront autant qu’elles dureront, avec le reste de ses pieces, ubi intelligitur plus semper quam pingitur ; et cum ars summa sit, ingenium tament ultra artem est [[1:Plin. ib.]]

Dans :Timanthe, Le Sacrifice d’Iphigénie et Le Cyclope (Lien)

, "Sur la peinture" (numéro Lettre IX) , t. II, p. 440

On remarquoit de Zeuxis qu’encore que ses tableaux, où l’artifice des ombres parut premierement, excedassent tout sorte de prix, ce qui le reduisit à la necessité de les donner gratuitement ; il avoit neanmoins ce defaut de representer les testes plus grosses qu’elles n’estoient, et la plupart des membres de mesme ; en quoi Quintilien [[1:Lib. 12 inst. C. 13]] trouve qu’il ne faisoit qu’imiter Homère, dont les plus belles femmes sont robustes et pleines d’embonpoint. Aristote [[1:Lib. de Poet. c. 6]] le reprend aussi de n’avoir pas exprimé comme Polygnotus les mœurs, ni fait comprendre les passions, quoique Pline [[1:Lib. 35 c. 9 &10]] dise qu’elles estoient visibles dans sa Penelope, qui fut un de ses chef-d’œuvres, Fecit et Penelopen, in qua pinxisse mores videtur, ou plustost, in qua pinxisse Amores videtur, afin d’accorder deux auteurs de si grande consideration.

Dans :Zeuxis et Polygnote : action et caractères(Lien)

, "Sur la peinture" (numéro Lettre IX) , t. II, p. 440

On remarquoit de Zeuxis qu’encore que ses tableaux, où l’artifice des ombres parut premierement, excedassent tout sorte de prix, ce qui le reduisit à la necessité de les donner gratuitement. [[4:suite: Zeuxis et Polygnote]]

Dans :Zeuxis et la richesse(Lien)